L'article à lire pour comprendre la crise que traverse le Niger après le coup d'Etat militaire

Ils disent vouloir “dessiner (…) un chemin qui mène à la paix” au Niger. Les chefs militaires des pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) se sont réunis au Ghana, jeudi 17 et vendredi 18 août, pour discuter d’une possible opération armée après le coup d’Etat à Niamey. La prise du pouvoir par une junte militaire, fin juillet, a déstabilisé le Niger et provoqué une vague de sanctions internationales. Situation politique et militaire, risque d’embrasement au Sahel… Franceinfo vous explique les enjeux et les conséquences de cette crise, à l’échelle nationale et internationale.

Que s’est-il passé fin juillet ?

Des militaires ont renversé le président, Mohamed Bazoum, et déclaré la suspension des institutions et de la constitution nigérienne, mercredi 26 juillet. Deux jours plus tard, le général Abdourahamane Tiani s’est autoproclamé chef de l’Etat lors d’une prise de parole à la télévision nationale. La junte a justifié ce putsch par la “dégradation de la situation sécuritaire” sous la mandature de Mohamed Bazoum.

Depuis les premières heures du putsch, le président est retenu captif avec son fils et sa femme dans sa résidence à Niamey, la capitale, rapporte Jeune Afrique. Plusieurs proches de Mohamed Bazoum, qui refuse de démissionner, ont affirmé qu’il n’avait plus d’électricité, ni d’eau potable. Selon le responsable des droits de l’homme pour les Nations unies, ces conditions de détention pourraient être “en violation du droit international”.

Qui sont les militaires qui ont pris le pouvoir ?

Le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), nom de la junte qui s’est hissée au pouvoir, a constitué, lundi 7 août, un gouvernement de 20 ministres. L’ancien ministre des Finances, Ali Mahaman Lamine Zeine, a été nommé à sa tête par Abdourahamane Tiani, nouvel homme fort du Niger.

Ce militaire de carrière avait été reconduit à la tête de la garde présidentielle par Mohamed Bazoum lorsque ce dernier avait été investi, en avril 2021. Mais les relations entre les deux hommes se sont détériorées : le président avait l’intention de remplacer le général de 59 ans, dans le cadre d’une “refonte en profondeur de la garde présidentielle”, a affirmé un proche de Mohamed Bazoum à l’AFP.

Alors que des intimes du général Tiani le décrivent comme “populaire” auprès de ses troupes, ses détracteurs évoquent plutôt un personnage “controversé”. Selon Jeune Afrique, il est soupçonné d’être l’un des instigateurs d’un coup d’Etat avorté, en 2015.

Comment a réagi la communauté internationale ?

Plusieurs capitales étrangères, dont Washington, ont fermement condamné ce coup d’Etat. La France a été prompte à réagir : dès le lendemain du putsch, le ministère des Affaires étrangères a annoncé la suspension de “toutes ses actions d’aide au développement et d’appui budgétaire” au Niger. Elles représentaient une enveloppe de 120 millions d’euros en 2022. L’Allemagne a pris des mesures similaires et l’Union européenne leur a emboîté le pas en suspendant “toutes ses actions de coopération dans le domaine sécuritaire”.

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Les sanctions les plus dures ont été prononcées par la Cédéao. L’organisation a décrété, le 30 juillet, le gel des transactions financières et de services avec le Niger. Ces mesures rendent difficile le retrait d’argent liquide et occasionnent des pannes d’électricité fréquentes. La Cédéao avait également fixé un ultimatum aux militaires pour rétablir l’ordre constitutionnel et libérer Mohamed Bazoum. Depuis son expiration le 7 août, le bloc d’Afrique de l’Ouest menace d’intervenir militairement.

En quoi consisterait cette intervention militaire ?

La Cédéao a donné son feu vert au déploiement de sa “force en attente”, jeudi 10 août, au terme d’un sommet extraordinaire. Mais les contours d’une opération militaire au Niger restent flous. Plusieurs pays membres de l’organisation ont émis des réserves sur le recours à la force. Cela s’explique notamment par une “conscience collective des risques d’enlisement”, analyse Djenabou Cisse, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). “Ce serait presque se tirer une balle dans le pied”, avance la spécialiste des questions de sécurité en Afrique, précisant que la Cédéao n’a jamais mené d’opération d’une telle ampleur par le passé.

Le coût économique et humanitaire d’une intervention est également redouté, dans des territoires déjà pauvres et affectés par l’insécurité alimentaire. “La plupart des pays de la Cédéao sont actuellement dépendants du blé russe et ukrainien”, souligne Djenabou Cisse.

Quelles sont les conséquences pour la population ?

Alors que 4,4 millions de personnes (18% de la population) ont besoin d’aide humanitaire au Niger, une quinzaine d’ONG ont alerté début août sur les conséquences de l’instabilité politique et des sanctions internationales. Selon Jérôme Pigné, président du Réseau de réflexion stratégique sur la sécurité au Sahel, les prix des denrées de première nécessité, telles que le riz et le sorgho, ont augmenté de 10 à 30% depuis fin juillet.

Le travail des organisations humanitaires est également entravé. Gregor Robak-Werth, directeur de la branche espagnole d’Action contre la faim au Niger, attend depuis fin juillet la livraison de milliers de cartons d’aliments thérapeutiques contre la malnutrition. “Comme les Nigériens, on s’adapte à une normalité qui n’en était pas une il y a deux semaines”, déplore-t-il.

La société civile soutient-elle le putsch ?

“La promesse de changement portée par les putschistes séduit les plus jeunes”, analyse pour franceinfo le directeur du projet Sahel à l’ONG International Crisis Group, Jean-Hervé Jézéquel. Ces nouvelles générations n’ont connu que la démocratie, installée au Niger dans les années 1990, et “elle ne leur a pas apporté de vraies perspectives”, abonde Djenabou Cisse.

Le soutien d’une partie de la population à la junte est aussi alimenté par un sentiment anti-français grandissant. Des milliers de manifestants se sont rassemblés devant l’ambassade française à Niamey, le 30 juillet, brandissant des pancartes “A bas la France”. Une semaine plus tard, ils étaient 30 000 à lancer des slogans hostiles à l’Occident et à la Cédéao, preuve d’un rejet massif de l’interventionnisme militaire, dont le président Mohamed Bazoum était partisan, selon La Croix.

“Le fait de rompre avec les puissances occidentales est perçu comme une proposition en soi.”

Djenabou Cisse, experte de la sécurité en Afrique

à franceinfo