Les veinotoniques vont être déremboursés. Quelles seront être les conséquences pour les malades ? Trois phlébologues nous livrent leur point de vue, avec en toile de fond un regard critique sur la politique de santé.
Le 28 septembre, le gouvernement annonçait le déremboursement total de 156 médicaments, jusque là pris en charge par la sécurité sociale à 35 %. Les veinotoniques flirtent avec cette première vague et bénéficient d’un sursis jusqu’en 2008. Durant 2 ans, ils seront remboursés à 15 %.
Un choix politique et non une preuve d’inefficacité
Sur les 18 millions de français qui souffrent de jambes lourdes, près de 50 % prennent des veinotoniques. A l’annonce du déremboursement, la plupart des patients risquent de douter de leur traitement. Mais doit-on voir dans ce déremboursement la traduction d’un manque d’efficacité ? “Absolument pas, insiste le Pr Henri Boccalon. C’est bien d’un fait politique, économique, que tout démarre, et non d’un fait médical. Le gouvernement se demande jusqu’où il va prendre en charge la santé de la population. Il peut alors choisir de prendre en charge les maladies cardiaques ou les cancers, plutôt que la gêne fonctionnelle liée à l’insuffisance veineuse, qui n’engage pas le pronostic vital. Il s’agit d’une question d’économie et non d’efficacité !“
Le service médical rendu, un concept relatif
En effet, le déremboursement est décidé sur la base d’un Service médical rendu (SMR) jugé insuffisant, qui ne signifie pas efficacité insuffisante : “le SMR est un concept relatif, qui peut varier dans le temps et en fonction des pays“, précise le Pr Boccalon. Pourtant, pour le Dr Frank Chleir, phlébologue à l’hôpital européen Georges Pompidou, “le problème dans l’appréciation du service médical rendu, c’est que personne ne sait quels critères entrent en compte. Le SMR est établi par des gens savants, qui ne sont pas sur le terrain. Et si le premier critère retenu est la mortalité, forcément, le SMR des veinotoniques sera insuffisant“.
Pourquoi stigmatiser les veinotoniques ?
Effectivement, on ne meurt pas de jambes lourdes… Il existe malgré tout une réelle souffrance, qui entraîne une pénibilité au travail et au quotidien. “Les veinotoniques sont efficaces pour soulager les gens qui souffrent. De plus, ils ne sont pas nocifs et coûtent relativement peu cher, réagit le Dr Chleir. Malheureusement, ce n’est pas encore entré dans les moeurs de prendre en ligne de compte la qualité de vie. C’est pourtant un critère à considérer car il intervient plus largement, en ayant un impact social, sur le travail, le relationnel, le quotidien“.
Déplacement de prescription et augmentation des dépenses
En terme de comportement de soins, que va entraîner ce déremboursement ? Il ne va malheureusement pas agir comme une baguette magique… “On dérembourse, mais les gens vont continuer à avoir mal, souligne le Dr Chleir. Les plus favorisés vont peut-être continuer à prendre des veinotoniques. Mais injustement, les plus exposés sont les moins favorisés et ils ont besoin de médicaments remboursés. Ils vont donc se tourner vers d’autres médicaments, comme les anti-inflammatoires et les antalgiques, qui soulagent la douleur, qui sont remboursés mais qui coûtent plus cher. De plus, les anti-inflammatoires ont des effets secondaires néfastes ; il faudra les associer à un traitement protecteur gastrique, ce qui augmentera encore les coûts“. Le Dr Chleir estime que 20 % des gens vont arrêter leur traitement à la suite de ce déremboursement. Et que les 80 % qui restent risquent de coûter 50 % plus cher, entraînant un surcoût d’environ 30 %.
Pour le Dr Jean-Jérôme Guex, vice-président de la Société française de phlébologie, “accabler les veinotoniques montre une vision simpliste des choses. N’oublions pas qu’en plus d’empêcher les gens de souffrir, ils permettent d’éviter de nombreux coûts, notamment des coûts économiques importants en soulageant les gens au travail“. Car les conséquences du déremboursement ne se limitent pas aux transferts de prescriptions : “il faut aussi prendre en compte les arrêts de travail, les gens qui vont prendre des psychotropes ou des anti-dépresseurs parce qu’ils souffrent et se sentent mal“, ajoute le Dr Chleir. Encore un cercle vicieux et coûteux.
L’argent, toujours nerf de la guerre
Face à ce déremboursement, les mutuelles sont priées de compenser. Mais il y a un os : elles ne sont pas d’accord. Le 21 octobre, la mutualité française, qui regroupe 98 % des mutuelles, a demandé à ses mutuelles de ne prendre en charge ni les médicaments complètement déremboursés, ni les veinotoniques. Tout à la charge des patients ? Notre système de santé titube… “Selon l’OMS, la France a le meilleur système de soins au monde, la meilleure qualité de prise en charge pour tous, rappelle le Dr Chleir. Mais il faut accepter que cela ait un coût. En déremboursant les veinotoniques, où est le bénéfice pour le patient, pour sa santé et en terme de coût ? Le discours actuel est un discours politique électoraliste, qui ne veut pas déplaire. Le politique essaie de résoudre des problèmes immédiats ; les conséquences à 10, 15 ou 20 ans, ce n’est pas son problème“.
Le déremboursement partiel : une décision “tiède“
Dérembourser partiellement, à 15 %, est-ce finalement la moins mauvaise solution ? Pour le Dr Guex, “ce n’est pas satisfaisant, mais c’est sûrement moins catastrophique qu’un déremboursement total. Le gouvernement prend une demi-mesure ; il botte en touche car il tombe sur un problème qu’il n’a pas envie de régler. Au final, cette décision tiède ne satisfait personne. Et ce sont les patients qui en sont victimes“.
Dérembourser les veinotoniques revient donc grossièrement à retirer une pièce d’un jeu de dominos… Pour le Dr Chleir, “en terme d’économie, ce n’est pas sûr qu’on y gagne, et en terme de santé publique, c’est sûr qu’on y perd“. Finalement, pour reprendre les mots du Dr Guex, on risque d’entendre encore parler des veinotoniques d’ici 2008.
Hélène JollyClick Here: Maori All Blacks Store