Elixir anti-alcootest, remède anti-gueule de bois… “Security Feel Better“ promet de faire chuter trois à six fois plus vite le taux d’alcool dans le sang. Vendu depuis des années sur Internet, son arrivée dans les grandes surfaces a suscité la colère des spécialistes de la lutte contre l’alcoolisme et finalement la suspension de sa vente.
Produit miracle ou attrape-nigauds ? L’élixir anti-alcoolémie est au coeur d’une polémique sans précédent. Le point avec le Dr Philippe Batel, chef du service d’addictologie de l’hôpital Beaujon à Clichy.
Doit-on garder une poire pour la soif ?
La mystérieuse mixture “Security Feel Better“ promet de faire chuter l’alcoolémie trois à six fois plus vite. Pour arriver à une telle prouesse, le produit revendique six années de recherche pour une formule secrète mais une composition “toute naturelle“ : eau purifiée, fructose, extraits végétaux, artichaut, thé, acide ascorbique, benzoate de sodium et arôme de poire. Inventé par deux frères dont un pharmacien, ce produit est selon le fabricant un hépato-protecteur et un régénérateur de la cellule hépatique. Vendu depuis des années sur internet*, ce produit est apparu dans certaines grandes surfaces (4,95 les deux fioles de 3 centilitres) : Auchan, Système U ou Leclerc…
Pour les alcoologues, la vente de ce produit inciterait certains buveurs excessifs à tricher et à mettre en danger leur vie et celles des autres. Incertitude du taux d’alcoolémie, sentiment de fausse sécurité, non maîtrise de la consommation d’alcool avant la conduite… sont autant de raisons qui ont soulevé un véritable tollé médiatique et fait reculer les grandes surfaces, qui ont majoritairement décidé de le retirer (provisoirement) des rayons… Mais qu’en est-il de l’efficacité du produit ?
Une efficacité douteuse…
Pas de secret pour réduire le taux d’alcool dans le sang ! C’est un problème de biologie et de chimie assez classique : soit on augmente le volume de sang, soit on accélère l’élimination de cet alcool. La première solution est réservée à des cas rares de coma éthylique et pour la seconde, les solutions ne sont pas extraordinaires. Et la composition du produit ne convainc pas vraiment les spécialistes. “On sait que le fructose pourrait accélérer l’élimination de l’alcool de 10 à 20 %, mais guère plus. De plus, la vitesse moyenne d’élimination de l’alcool dépend de très nombreux facteurs interindividuels (sexe, type de consommation, capacité enzymatique du foie…)“ nous confie le Dr Philippe Batel, chef du service d’addictologie de l’hôpital Beaujon à Clichy. Pour cet expert, l’artichaut constitue très certainement le petit plus propre à toute supercherie qui se respecte. Mais évitant un procès d’intention, le Dr. Batel est partisan d’une évaluation sérieuse du produit : “On comprend aisément qu’une étude conduite sur six personnes et même certifiée par un huissier n’a que peu de valeur scientifique. Pourquoi ne pas coordonner une étude sérieuse selon les standards scientifiques en vigueur (comparaison avec un placebo, etc.) et ainsi démontrer les effets ou l’absence d’effet de ce produit ?“.
Un produit finalement retiré du marché
Suite à l’arrivée de ce produit dans certaines grandes surfaces, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a lancé le 21 février 2006 une enquête au siège de l’entreprise et auprès des distributeurs afin de vérifier la composition du produit et le type d’allégations publicitaires qui accompagne sa mise en vente. Mais l’intervention des instances publiques dans ce dossier n’est pas inédite. En octobre 2000, le Conseil supérieur d’hygiène publique de France disait être “très défavorable aux allégations revendiquées“, il soulignait “fortement les dangers liés à la commercialisation d’un tel produit“ et recommandait alors “l’interdiction de sa commercialisation“. Mais la justice saisie quelques mois plus tard avait finalement conclu à un non-lieu, la firme normande PPN s’engageant à ne plus faire de publicité. Une décision qui a poussé la firme à s’orienter vers des marchés étrangers.
Le 25 février, la DGCCRF annonce finalement que “Par arrêté du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 24 février 2006, la mise sur le marché de la boisson “security feel better“ est suspendue pour une durée d’un an“. Parce qu’il est susceptible d’induire des comportements dangereux, ce produit sera ainsi retiré des lieux de vente aux frais de l’entreprise responsable de sa mise sur le marché. Le communiqué précise également que cette décision de retrait du marché ne fait pas obstacle à d’éventuelles poursuites judiciaires sur la base de la tromperie et de la publicité mensongère. L’enquête sur la nature du produit et la communication qui l’accompagne se poursuit.
Le fruit d’une ambiguïté bien française
Tollé médiatique, consternation industrielle, recul des grandes surfaces… Alcoologues et fabricants de boissons alcoolisées s’indignent en coeur. Mais pour le Dr Philippe Batel, l’arrivée sur le marché de tels produits traduit l’ambivalence de la société française vis-à-vis de l’alcool et de ses méfaits. “On entend encore des politiciens argumenter que le futur Président de la République devra boire du vin et non de la bière au nom d’un étonnant patriotisme éthylique. Ce même discours considère que la loi Evin met à genoux toute l’industrie française viticole… Présente au plus haut niveau de l’Etat, c’est cette même ambivalence qui permet à des industriels véreux et opportunistes de séduire des acheteurs crédules. Dans un tel climat pour le consommateur, prendre un tel produit pourrait être assimilé à une petite fraude, comme sur la feuille d’impôt par exemple… Un sport national qui prêterait à sourire si l’alcool n’était pas associé à 45 000 morts par an !“.
David Bême
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